Prendre soin de ses enfants, c’est bien les nourrir physiquement, mais aussi affectivement et spirituellement. Accompagner son enfant affectivement passe inévitablement par les émotions. Apprendre à identifier son émotion, la gérer est primordial certes, sauf que lorsque l’enfant, et notamment le petit enfant, est submergé par ses émotions, il est dans l’incapacité de de l’identifier, de la gérer. La première étape pour le parent est de l’accueillir! C’est ce que nous conseille la plupart des professionnels en oubliant de nous dire comment on accueille une émotion. Metiss’Family a donc demandé à Sonia Berriri, spécialiste du sujet à La Réunion, de nous en dire plus.
Metiss’Family : Bonjour Sonia. Merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions de parents apprenants. Mais avant toute chose, peux-tu dans un premier temps te présenter, ton métier et ce que tu aimes faire ?
Je suis passionnée par le thème des relations. Comment communiquer de manière non violente tout en s’affirmant, comment vivre en intelligence avec les autres, comment réguler les conflits d’une manière constructive et enrichissante, comment réguler ses émotions et développer ses ressources intérieures. Autant de questions pour lesquelles j’ai cherché des réponses concrètes pour les appliquer dans ma vie et que je transmets aujourd’hui à travers mes formations et accompagnements. L’éducation, le management, le travail d’équipe sont mes domaines de prédilection. J’aide les enfants, les adolescents et les adultes à développer les compétences nécessaires pour bien vivre avec soi et avec les autres. Je m’intéresse aussi à la pédagogie (je suis prof dans un lycée auprès d’élèves en situation de décrochage).
MF : Aujourd’hui, nous parlons beaucoup des émotions, des émotions de l’enfant et de leur importance dans leur développement. En même temps, nous parents, nous n’avons pas été élevés, pour la plupart, dans un environnement où les émotions avaient leur place. Aussi nous pouvons être désemparés, notamment quand on lit « accueillez l’émotion de votre enfant »… sachant que cette belle phrase est souvent le point de départ d’une éducation positive ! Peux-tu nous dire ce que ça veut dire ? Que faut-il faire ?
Les émotions représentent une part importante de la vie affective d’un être humain. Chacun de nous le sait bien puisque nous faisons chacun(e) dans notre quotidien l’expérience de ressentir des choses en nous lorsque nous sommes face à des évènements, des situations diverses et variées. Nous ne comprenons pas toujours de quoi il s’agit, pourquoi nous ressentons ces choses. Nous nous demandons même si cela est « normal » ou encore ce que cela peut bien vouloir dire.
Nous savons finalement peu de choses sur ce que pourtant nous ressentons à longueur de temps. Et comme pour beaucoup d’autres choses, ce que nous ne connaissons pas ou mal nous fait peur, alors nous avons tendance à cacher, à rejeter, refouler ce que nous ressentons, ou à vivre nos émotions d’une manière qui va nuire à notre bien-être ou à celui des personnes avec qui nous sommes en relation.
Nous sommes arrivés à ce résultat par manque de connaissance de nous-même. Nous n’avons pas appris en quelque sorte à connaître et comprendre notre monde intérieur en dehors de tout discours moralisateur, enseignement religieux ou philosophique où l’on nous a souvent appris à nous méfier de nos émotions. Nos parents eux-mêmes ne l’ont pas appris, et leurs parents non plus. Aussi ce dont nous avons hérité, ce que nous avons souvent retenu est que « ce n’est pas bien » d’être en colère, qu’un garçon ne doit pas pleurer pour montrer qu’il est fort, ou encore de cacher nos larmes lorsque nous nous sentons triste.
Nous avons été conditionnés à penser que les émotions étaient assimilées à de la fragilité, or celui qui est fragile est menacé dans notre société.
Nous payons pourtant le prix fort de ces croyances car nier le monde de nos émotions est à l’origine de nombreux troubles affectifs qui ont un impact sur l’estime de soi, la confiance en soi, la capacité à s’affirmer, à vivre des relations enrichissantes et épanouissantes avec les autres, à réussir sa vie.
Il y a par conséquent un enjeu à développer un rapport nouveau et pacifié avec les émotions, les nôtre bien sûr et aussi celles de nos enfants:
- Accueillir les émotions d’un enfant veut donc d’abord dire pour moi, reconnaître leur existence (et apprendre qu’elles ont une utilité).
- C’est accepter que l’enfant puisse ressentir ces émotions, accepter qu’il puisse se sentir triste ou en colère ou même avoir peur, ne pas vouloir que ce soit autrement. Cela revient à lui reconnaître sa part d’humanité qui est faite de sensibilité et aussi de vulnérabilité.
- Accueillir c’est recevoir (bien ou mal) ce qui vient, c’est comme ouvrir la porte à qqn qui frappe. Nous n’allons pas le laisser dehors, nous allons lui ouvrir pour ensuite prendre connaissance de qui est cette personne, ce qu’elle veut, quel message elle a pour nous etc…
Imaginons par exemple, un enfant ne veut pas s’approcher d’un chien parce qu’il a peur, ou pleure parce qu’il est tombé et s’est fait mal. Accueillir sa peur, ses pleurs c’est reconnaître leur présence et les accepter, ne pas les juger.
Si je pense : « il ne devrait pas avoir peur de ce chien, il est si gentil », ou « il doit s’endurcir et ne pas pleurer au moindre petit bobo » alors je suis dans l’attitude inverse de l’accueil, je suis dans le refus, le déni de ce que l’enfant ressent parce que ce qui prédomine à ce moment là, ce sont MES propres émotions (peut-être la joie de voir un chien parce que j’aime beaucoup les chiens, ou la peur que mon enfant ne subisse de moqueries ou de remarques désagréables par exemple de la famille quant à sa sensibilité).
Accueillir l’émotion de l’enfant implique donc de se mettre dans une attitude d’écoute et allons plus loin, d’empathie. Je pourrai ensuite mettre un mot sur cette émotion : » tu as l’air d’avoir peur du chien », « ça peut faire mal de tomber ». Cela permettra à l’enfant de se sentir reconnu dans ce qu’il vit.
MF : De même accueillir l’émotion, de quelle émotion, parle-t-on ? Dois-je réagir de la même manière ?
Nous parlons des émotions que chaque être humain peut ressentir : la tristesse, la peur, la colère, le dégoût, la surprise, la joie, les émotions de base (voir plus loin).
Nous sommes souvent plus à l’aise avec certaines d’entre elles, comme la joie ou la surprise. Nous pouvons aussi les accueillir : « Tu te sens fier d’avoir fait ce travail tout seul, n’est ce pas? » « Tu as l’air joyeux aujourd’hui ». Cet accueil peut donner à un échange nourrissant et permettre d’enrichir la relation avec notre enfant qui aura peut-être envie de nous en dire plus. Etre attentif et refléter aussi les expériences agréables et importantes qu’il vit viendront nourrir le sentiment d’exister et le besoin d’attention.
Nous sommes en revanche moins à l’aise avec d’autres comme la colère ou la tristesse parce que nous ne savons pas toujours quoi faire face à elles.
Accueillir les émotions d’un enfant, suppose que nous soyons à l’aise avec nos propres émotions et cela peut nous demander de faire un chemin vers nous-mêmes avant. C’est ce que j’ai eu personnellement à faire (et que je continue de faire) pour accueillir au mieux les émotions de mon fils, aujourd’hui adolescent.
Accueillir l’émotion consiste à permettre à l’émotion d’exister (et le fait d’être accueillie facilitera sa régulation). Toutefois, nous serons attentif à ce que son expression ne cause pas de dommage ni à l’enfant ni à d’autres personnes autour, (y compris nous-même, lorsque nous sommes en interaction avec un enfant).
Ainsi par exemple si un jeune enfant, en colère se met à frapper son parent, jeter des objets ou frapper son camarade sous le coup de la colère, nous devrons dans un 1er temps faire cesser ces agissements pour le protéger et protéger les biens et les personnes en lui indiquant que cela ne peut pas être admis. Il conviendra de le faire le plus calmement possible, même si cela demande un recours à la fermeté qui sera dans certains contextes nécessaire.
Selon l’âge de l’enfant nous pourrons alors lui dire (avant ou après le comportement que nous jugeons inacceptable) » tu as l’air en colère, mais cela ne te donne pas le droit de taper », » tu as le droit de ne pas être content mais pas de jeter le doudou de ton frère » , « dis lui avec des mots que tu es en colère, pas avec tes poings » » j’entends que tu es en colère parce que ton professeur t’as crié dessus devant toute la classe, pour autant l’insulter n’est pas acceptable ».
Accueillir une émotion, accepter sa présence ne veut pas dire tout tolérer.
MF : quelle est la différence entre réconforter (tristesse) et rassurer (peur) ?
Tout va dépendre du contexte. Je dirais toutefois qu’elles renvoient à des actions auxquelles nous choisissons de recourir après avoir accueilli les émotions de l’enfant (cela peut se faire parfois de manière simultanée. Ce sont des attitudes que nous adoptons pour contribuer au mieux être de l’enfant dans la situation qu’il vit).
Si nous voyons qu’il est triste, nous allons chercher à l’entourer de notre chaleur de notre amour, à créer de l’apaisement en lui (par des mots, des gestes, une étreinte…).
S’il a peur, nous allons chercher à répondre à son besoin de sécurité : par des mots « tu peux être tranquille, il n’y a pas de loup sous ton lit, je viens de regarder. Tiens, tu voudrais regarder toi aussi? « ; par des gestes, par une étreinte comme dans le cas précédent. Ici le besoin à combler est le besoin de sécurité.
MF : On parle souvent des 5 émotions de bases, (peur, dégoût, joie, colère, tristesse), pourtant j’ai l’impression que les choses sont un peu plus complexes : je peux ressentir de la frustration ; de la honte, de la culpabilité. Est-ce que ces nuances existent aussi chez les enfants ?
Oui les émotions de base sont un peu comme les couleurs primaires que nous découvrons à l’école en arts manuels, elles existent par elles-mêmes. Elle peuvent ensuite être mélangées pour former des couleurs secondaires ( par exemple le mélange du rouge et du jaune permet d’obtenir du orange). C’est la même chose pour les émotions, il y a des émotions de base que tu cites et des émotions complexes, comme par exemple la jalousie qui est un mélange de peur, de tristesse, de colère.
La frustration est une sensation que les enfants connaissent dès leur plus jeune âge dans la mesure où ils sont entièrement dépendant des adultes et que malgré tous les soins prodigués leurs besoins ne sont pas toujours comblés en temps réel (manger ou boire par exemple). Plus tard, le décalage entre l’envie, le besoin et les situations qu’ils vivront continuera de se faire sentir (par exemple : voir ses parents alors qu’ils sont au travail).
Le bébé et le petit enfant ne portent pas de jugements positif ou négatif sur leur personne, leurs comportements leurs actions, ce qui change dès lors qu’ils prennent conscience d’eux même et des autres dans le contexte des interactions sociales. Ainsi les autres affects comme la honte, la culpabilité, la jalousie sont des sentiments qu’ils pourront ressentir dès la prime enfance selon la qualité des interactions qu’ils ont eues avec les adultes et notamment leurs parents.
MF : Existe-t-il des outils, pour nous permettre d’accompagner ces émotions complexes
1/ Rester calme et être à l’écoute de ce que l’enfant ressent c’est à dire, prendre le temps de se relier à lui, d’être en empathie pour accueillir véritablement l’émotion ou le sentiment qu’il ressent.
2/ Mettre des mots sur ce que l’enfant ressent. C’est très important, cela l’aide ainsi à développer du vocabulaire (indispensable pour développer la capacité plus tard à réguler ses émotions et développer son intelligence émotionnelle).
Par exemple, « tu as l’air drôlement en colère que ton frère t’ait pris ton jouet » « Tu n’es pas content que ton frère t’ait pris ton jouet » ou encore « Cela peut faire peur un chien qui aboie… »
L’idée est de refléter (comme le ferait un miroir) ce que l’enfant est en train de ressentir. Cela va lui permettre de prendre conscience de lui-même et de ses ressentis en lui (au lieu de rester focaliser sur l’objet de sa colère), de mettre des mots sur ce qu’il se passe en lui, dans son corps. Tout cela aura pour effet de calmer l’enfant, surtout s’il sent que nous sommes réellement reliés à lui.
Ensuite des outils existent ensuite pour aider l’enfant à exprimer son émotion, : lui proposer de dessiner sa colère, nous pouvons la mettre en scène en utilisant des marionnettes, des personnages-jouets de l’enfant…
MF : et l’amour, l’amitié, la gratitude, la sérénité sont-elles aussi des émotions ?
Ce sont plutôt des états affectifs d’un autre ordre, des sentiments.
MF : peux-tu expliquer également la différence entre émotions, sentiments, humeurs ? Et-ce qu’en tant que parents, je dois avoir des attitudes différentes en fonction ?
Il faut savoir que plusieurs définitions existent et elles font encore l’objet de discussions entre les chercheurs qui ne sont eux-mêmes pas toujours d’accord entre eux.
Ce que l’on peut retenir toutefois c’est que ces différents affects se distinguent par leurs caractéristiques:
L’ émotion stricto-sensu est une réaction physiologique du corps à un élément déclencheur (un stimulus perçu à travers nos 5 sens). Cette réaction est spontanée et a une durée brève. Les émotions désignent uniquement les émotions dites « de base » qui sont celles que tu as citées (peur, colère, tristesse, dégoût, surprise, joie) et leurs dérivées, émotions secondaires
Le sentiment est un état affectif complexe combiné d’éléments émotifs et imaginatifs et qui persistent en l’absence de tout stimulus. Les sentiments peuvent durer dans le temps (de quelques minutes à plusieurs années) et leur intensité est généralement plus modérée. L’amour, l’amitié la sérénité sont des sentiments.
L’humeur est un état affectif qui constitue un arrière plan plus ou moins durable qui imprègne et oriente positivement ou négativement le déroulement de la vie quotidienne. Exemple : être d’humeur mélancolique, être d’humeur joyeuse.
MF: Merci Sonia pour tous ces éclaircissements. Si on veut en savoir plus on peut te suivre sur ta page de facebook So Comm’Unique Sonia Berriri Formation-Accompagnements-Conseil. A très bientôt.