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Ecole, pas école? (bis)

Au-delà de questions autour de la transmission du COVID, point sur lequel nous avons échangé avec le pédiatre Marie Trellu la semaine dernière, le fait d’aller ou non à l’école peut avoir aussi un impact sur le bien-être psychologique des enfants. Or, c’est un facteur à ne pas négliger dans sa décision finale. Pour en savoir plus, nous avons donc contacté Jackie Lamy, psychologue clinicienne spécialisée en victimologie et criminologie.

MF : Bonjour Jackie, merci d’avoir accepté cet échange. Peux-tu te présenter à nos lecteurs en quelques mots.

Jackie Lamy : Bonjour, Je m’appelle Jackie Lamy, et je suis psychologue clinicienne victimologue et criminologue 

Mon parcours m’a amené sur différents chemins professionnels. Mais depuis 15 ans, je suis en libéral et tente chaque jour de comprendre, soutenir et aider toute personne dite atypique (EIP) par son hyper-sensibilité, son hyper-empathie, son hyper-émotivité, son hyper-exigence… 

Les outils thérapeutiques mis en place au cabinet sont essentiellement dérivés des TCC (thérapies cognitives et comportementalistes) qui permettent une fois l’analyse faite de mettre en place des modulations, des régulations aux zones de souffrances.

MF: Au-delà de l’aspect santé physique, est-ce que le confinement peut avoir un impact sur le bien-être psychologique des enfants ? 

JL : Oui cela peut, et ce n’est pas systématique. Le contexte va aussi être important.

Par exemple, le confinement peut avoir un impact très négatif, si l’enfant vit dans une cellule familiale déstructurée. Il peut malheureusement vivre un impact traumatique avec le vécu de violences répétées, d’actes maltraitants subis. Au-delà de ce contexte très particulier, on peut aussi observer, surtout chez les enfants sans fratrie ayant une personnalité extravertie, des signes de dépression qu’il ne faut pas négliger.

Dans d’autres cas, le confinement peut être aussi déclencheur de stress et d’angoisse. Car le changement radical du rythme de vie, peut amener les enfants à s’inquiéter fortement sur la situation, ils peuvent interpréter les propos entendus et perdre leur insouciance.

L’enfant va vivre l’évènement en fonction de son entourage. Il est une éponge émotionnelle. Il va absorber sans contrôler les émotions ressenties dans son entourage, il va les absorber sans donner le même sens, car il absorbe sans être dans la métacognition, c’est-à-dire qu’il n’est pas en capacité d’observer ce qu’il pense, ce qu’il ressent de manière extérieure. Il va dire « je suis triste » et va faire un avec sa tristesse ; l’adulte est capable de se dissocier de sa tristesse. De ce fait, l’enfant vit les évènements en totale dépendance avec la façon dont l’entourage les vit.

MF : Comment cela se manifeste-t-il ? 

JL : Dans les cas les plus graves, et notamment dans les familles déstructurées, l’enfant en souffrance manifestera soit un repli sur soi ou un certain mutisme voire arrêtera de s’alimenter ou encore manifestera des troubles du sommeil. Il est possible d’observer une multiplication des symptômes.

Pour les autres enfants, le manque d’ouverture sociale, la vie en vase clos, peuvent être le déclencheur d’un fort ennui, d’une rumination, de pics de colère, d’une « Caliméro attitude ». Pour ceux pour qui le changement a été facteur de stress, on peut observer des signes d’insomnies, des cauchemars, une perte d’appétit.

MF : Des mamans ont observé chez leurs enfants des pleurs plus fréquents ou des actes plus violents (mordre, frapper, bagarres plus fréquentes dans la fratrie…). Comment accompagner ces enfants ? 

JL: La vie confinée n’est pas évidente pour tous et les enfants peuvent effectivement présenter des changements de comportements, qui peuvent être mineurs ou majeurs.

Pour accompagner ces enfants, la première démarche est de donner du sens à cette colère. Comme le proverbe le dit si bien, c’est l’arbre qui cache la forêt. Votre petit va manifester une colère pour aller dormir « je vais pas dormir », mais les maux derrières les mots, sont signes d’un stress d’endormissement.

Puis, il s’agit de donner à l’enfant la possibilité d’exprimer ses émotions avant l’explosion (l’enfant exprime sa colère par des cris, des mots) ou l’implosion (la colère reste à l’intérieur, il n’y a pas de son, pas de cri, le corps de l’enfant est en tension, ses mâchoires sont crispées). Il existe des outils accessibles dès 2 / 3 ans, avec les couleurs émotionnelles. On pourra par exemple utiliser le « Monstre des émotions » ; ou encore des pierres de couleur associées à chacune des émotions. Pour les plus grands, le film Vice-Versa permettra aussi de donner un sens aux émotions et de les relier à une couleur.

Les émotions sont utiles car elles donnent le baromètre de l’état psychique émotionnel de l’enfant.

Enfin, une fois l’émotion comprise, il s’agit de répondre aux besoins qui se cachent derrière. Par exemple, si l’enfant éprouve de la frustration liée à l’isolement, il s’agira de le rassurer et lui montrer une date pour qu’il puisse projeter une fin à cette période difficile. Si l’enfant a besoin de taper, de crier pour vider son trop plein émotionnel, créer un espace où cela est possible (bien fixer un Timer pour la fin de l’évacuation de l’émotion). Si l’enfant se sent envahit par sa fratrie, organiser des temps solo, duo, trio, pour chacun.

MF : Quels sont les symptômes qui signifient qu’il est nécessaire de consulter ? Et ou s’adresser? 

JL: Il y a 3 principaux signes significatifs, qui peuvent être isolés ou combinés, qui montrent que la souffrance est grande et qu’il vaut mieux être accompagné par un professionnel :

  • Les paroles de l’enfant : il s’exprime avec des mots décalés comme « je veux mourir », « je veux m’enfuir » ou encore « je suis le plus nul de la terre » …
  • Les comportements de l’enfant : comme les mises en danger, les colères incontrôlées, les tristesses inconsolables. Les changements instantanés des conduites vitales (comme par exemple un enfant qui refuse de se nourrir ou qui pense qu’à manger) sont aussi des signes.
  • Les difficultés parentales face à cette situation particulière : comme l’impossibilité pour les parents de sortir des crises, de trouver des solutions, ou encore ressentir un sentiment d’épuisement, de burn-out parental. Il faut bien comprendre dans ces cas, que l’intervention extérieure n’est pas la conséquence d’une faiblesse parentale, mais la conséquence d’une situation exceptionnelle et soudaine à laquelle nous n’avons pas été préparée.

Si vous êtes dans une ou plusieurs de ces situations, il est important de se tourner vers des personnes ressources comme le pédiatre, votre médecin généraliste, un psychologue ou un thérapeute, voire la PMI ou le CMP. Ces personnes pourront vous écouter et vous conseiller, voire vous accompagner.

MF : De la même manière est-ce que le déconfinement peut aussi avoir un impact de stress sur les enfants ? Est-ce qu’il existe un lien entre la manière dont l’enfant à vécu le confinement et le stress du déconfinement ?

JL: Le stress du déconfinement fait forcément écho à la façon dont l’enfant a vécu le confinement. Le déconfinement peut effectivement apporter de la colère, ou de la peur face à la réouverture sur le monde, vers l’autre. Si votre petit était bien au chaud dans sa bulle familiale, il peut alors ressentir une forte tension à la reprise du rythme normal. Il peut ressentir un sentiment d’abandon, car sa bulle était le parfait bonheur …

Petites idées pour l’aider à avancer de nouveau dans le monde, lui lancer des défis, l’encourager dans un cadre bienveillant, mettre en place des actions rassurantes …

MF : Vu la manière dont l’école est reprise (distance entre les enfants, suppression des jeux, absence d’activité physique, l’enfant est seul à sa table, pas d’échange avec ses camarades..), quels peuvent être les risques pour la santé psychologique ? 

JL: Les risques psychiques qui peuvent apparaître pour les enfants sont à nuancer sur un baromètre de 00 à 10. L’intensité peut varier tous les jours en fonction de ses camarades, des adultes l’entourant, des protocoles des institutions, de ses expériences vécues… 

Peuvent être en jeu:

  • Un sentiment de rejet (j’ai toujours eu des câlins de la part de mes camarades ou enseignants, ou éducateurs . Et aujourd’hui cela n’est plus possible. Ils me rejettent ?)
  • Un sentiment de honte (je sens la distance des autres face à moi, les regards sur moi sont différents. J’ai honte …)
  • Un sentiment d’incompréhension (pourquoi mon copain ne veut plus prendre mon crayon? Pourquoi il me mange plus à côté de moi? Pourquoi on ne peut plus s’attraper à la recrée?)
  • Un sentiment d’injustice (c’est vraiment pas juste, on peut rien faire à la recrée. C’est vraiment pas juste j’aime pas me laver les mains tout le temps)
  • Un sentiment de peur (j’ai peur d’attraper le virus, j’ai peur il m’a touché, j’ai peur il a éternué…) 

MF : Des conseils pour accompagner les enfants dans cette évolution ? 

JL: Encore une fois, il s’agit de permettre à l’enfant d’exprimer ses émotions. On peut par exemple mettre en place le baromètre émotionnel de retour de l’école.

Étape 01: Faire avec l’enfant un bilan des émotions ressenties.

  • J’a été content parce que….
  • J’ai été en colère parce que…
  • J’ai eu peur parce que…
  • J’ai eu honte parce que….
  • J’ai été triste parce que….

Étape 02: pour chacune des émotions ressenties, demandez à votre enfant à quel niveau est l’émotion avec une échelle allant de 0 à 10. Si l’enfant est petit, préférez une échelle sémantique : rikiki, un peu, moyen, fort, méga fort…

MF : A l’opposé, existe-t-il  des risques pour les enfants qui ne seraient pas à nouveau scolarisés ? Quel conseils donneriez-vous ? 

JL: Les risques principaux seraient ceux que l’on retrouve dans le cas du confinement. Ainsi, par exemple, l’enfant peut s’ennuyer. Dans ce cas, il peut être intéressant d’amener de l’imprévu dans le quotidien de la journée, ou encore apprendre à l’enfant l’intérêt de l’ennui.

D’autres difficultés peuvent apparaître, si l’enfant n’a plus un rythme stable, avec un fort décalage sur son rythme biologique comme l’heure du couché. Il s’agit de redonner du rythme dans la vie de l’enfant avec des étapes obligatoires dans la journée, la mise en place de routines qui peuvent être affichées. Car il ne s’agit pas d’une période de vacances. Trouver un lieu particulier et toujours le même pour le temps du travail d’école.

Enfin, si l’enfant est isolé, il peut perdre les protocoles de mise en relation avec l’autre comme dire bonjour, affronter l’inconnu, devenir ami, faire des compromis. Ici, je conseillerai de mettre en place des petits jeux de rôle (bonjour Madame je voudrais une baguette…) ou engager un jeu où votre enfant doit mettre en place le partage, le compromis …)

MF: Merci à toi Jackie pour cet échange. J’espère que cela permettra aux mamans indécises comme moi de prendre une décision.